Essai du fusil Remington Rolling Block modèle 1915 en 8mm Lebel

déc 22, 2009 1 Commentaire par picantin60@yahoo.fr

Lorsque le système Rolling Block se développe aux Etats-Unis, juste à la fin de la guerre de Sécession, l’armement individuel est en train de connaître une profonde mutation. L’apparition de systèmes d’armes proposant une capacité accrue en munitions et en cadence de tir va remettre en question les anciens systèmes tels les Trapdoor ou les Sharps.

C’est Joseph RIDER (1817 1901) qui dès 1863, en améliorant les travaux de Léonard GEIGER (1829 1902) va développer pour le compte de Remington le premier fusil Rolling Block. Dans l’environnement de mutations armurières mentionnées ci-dessus, ce système conservera sa pertinence, et bénéficiera d’un réel succès sur différents marchés, civils ou militaires à travers le monde. Pas moins de 25 pays passeront commandes de ces armes, le dernier contrat étant celui de la France en 1915 pour pallier le manque d’armes disponibles pour ces troupes de seconde ligne.

Revenons à l’arme initiale présentée en 1865, connue sous l’appellation de « Numéro 1 ». Remington espérait que ce système recueillerait un intérêt important auprès des forces armées américaines. Le système Rolling Block pouvait en effet permettre la conversion d’anciens systèmes d’armes à chargement par la bouche encore présents en grande quantité. C’est au final le système Trapdoor qui fut adopté, proposant lui aussi la conversion d’armes obsolètes. Devant le désintérêt des autorités américaines, les frères Remington décidèrent de cibler d’autres marchés, en particulier l’Europe. Dès 1866, la représentation commerciale du Rolling Block commence sur le vieux continent. L’écho rencontré par ce nouveau système fut très important, la plupart des états européens étant alors en phase de recherche et de développement d’une arme à chargement par culasse. Le système Rolling Block obtint même la médaille d’argent de l’Exposition Impériale de Paris en 1867, décernée par la Haute Commission de l’Armement.

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Eclaté du Rolling Block N°1

La première commande officielle vint du Danemark en 1867, avec 42000 armes et le développement mutuel avec Remington d’une munition, le 11,7×51R. La Suède commande à son tour 40 000 fusils en 1868, suivit de la Norvège. De même que pour le Danemark, le développement de la munition fut le fruit d’une collaboration avec Remington. L’Espagne commande également 85 000 fusils dans le calibre 43 Espagnol, 11,5×58R.

L’Egypte, dont un des représentants était présent à l’Exposition de 1867, souhaita également acquérir des Rolling Block pour équiper ses troupes. La commande prévoyait de chambrer ces armes en 11×50R, soit 43 Egyptien. La première commande de 60 000 pièces n’arrivera jamais en Egypte, elle fut acheminée en France pour couvrir les besoins en armes de cette dernière durant la guerre Franco- Prussienne.

Dans l’ensemble des ventes, le calibre 43 Espagnol représentait 75% des calibres commandés entre 1870 et 1890. Les marchés d’Amérique du Sud et d’Amérique Centrale ayant adopté ce calibre.

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Rolling Block N°1, exemplaire destiné initialement au contrat Egyptien mais livré à la France en 1871. Calibre 43 Egyptien

Le succès commercial de cette arme est indéniable, mais il faut souligner que les Etats-Unis n’adoptèrent jamais réglementairement cette arme, passant du système Trapdoor, à la carabine Krag Jorgensen. Vers 1890 les poudres sans fumée vont progressivement s’imposer, le Rolling Block fut donc adapté aux nouvelles contraintes, notamment au niveau des pressions admissibles. Le fusil modèle 1897 sera le premier à pouvoir supporter les munitions modernes. La fabrication pris fin en 1916 avec la livraison du dernier lot destiné à la France.

La France aussi a passé commande de fusils Rolling Block, mais dans des conditions un peu particulières, et ce à deux reprises. Lors de la guerre Franco-Prussienne, le manque d’armes disponibles pour les troupes posa un réel problème : le Chassepot n’était pas encore suffisamment disponible, et l’armement des unités était pour le moins hétéroclite (fusils à tabatières, fusils 1842, etc …). Les acheteurs se tournèrent donc vers l’étranger pour s’approvisionner et notamment vers les Etats-Unis ou le dynamisme armurier associé aux nombres d’armes disponibles (fin de la Guerre de Sécession) ouvrait de grandes possibilités. La France va ainsi acquérir des armes de poing (Remington 1858) et des armes longues (Sharps, Fusils transformés à Tabatière et Rolling Block).

Dans le cas du fusil Rolling Block, le dynamisme commercial et les commandes en cours ne permettaient pas de servir la demande, la France va donc ouvrir des négociations avec l’Egypte afin d’obtenir la commande initialement destinée à cette dernière. La première commande Egyptienne fut donc acheminée en France entre 1870 et 1871, armant essentiellement des troupes de réserve et de la Garde Nationale. Une commande officielle fut également validée en 1871, et les armes réceptionnées étaient en calibre 43 Espagnol (130000 pièces). Cette profusion de calibres disponibles entraina des problèmes logistiques et d’intendance certains. Enfin en 1874, une autre commande, cette fois dans le nouveau calibre réglementaire 11×59r, 11mmGras fut passée pour 145000 pièces, le modèle désigné étant « Garde Civile ».

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De haut en bas, Remington M15 en version bronzée. Remington M15 en version jaspée conforme à l’original (remise en état à postériori), enfin Remington modèle 1866 en 43 Egyptien.

En 1915, l’histoire se reproduit, le France est en manque d’armes. Des armes de poings sont achetées en Espagne (pays resté neutre dans le premier conflit mondial) essentiellement en 8mm92, des copies de revolvers Colt New Service et Smith&Wesson Military and police, mais également des 7,65 Browning, Ruby, Eibar, Star, etc… Les Etats-Unis vont encore fournir du matériel, des carabines Winchester en 30/30WCF, des Pistolets Colt 1911 (en petite quantité pour les tankistes), des fusils d’infanterie Berthier fabriqués par Remington et des Rolling Block en 8mm Lebel (modèle 1901 M15). C’est une quantité de 50000 pièces qui fut acquise, et c’est l’arme qui illustre cet article.

La France fut donc au cours de cette période une grande consommatrice de ce système, les estimations font état de 130000 fusils en 43 Espagnol et 60000 fusils en 43 Egyptien en 1871, 145000 fusils en 11mm Gras en 1874 et enfin 50000 fusils en 8mm Lebel en 1915, soit un total de 385000 pièces en 45 ans !

Malheureusement peu de ces pièces parviendront à nous. En effet bien que peu utilisées en premières lignes, ces armes ont souvent terminé leur carrière dans les colonies, avec toutes les vicissitudes imaginables. Les Rolling Block des contrats de 1870 et 1871, ont souvent été retrouvés dans des casernes, de pompier notamment, où ils servaient d’armes de décoration dans les salles d’honneurs. Les modèles en 8mm sont plus difficiles à trouver, leur classement en première catégorie les conduit soit à la neutralisation, soit au rechambrage. Plusieurs sources confirment également qu’un grand nombre de ces armes aurait été immergé au large de l’Algérie en 1962.

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Détail des marquages présents sur les modèles. Reproduit dans le cartouche supérieur, le marquage du modèle 1915. Notez sur cette photo la qualité du jaspage.

J’ai eu la chance de pouvoir essayer deux armes de ce type il y a quelques temps. Un de mes amis, un collectionneur tireur sportif a accepté de me prêter ces deux pièces. Ces deux armes sont intégralement dans leur configuration militaire, le premier ayant conservé la finition type bronzage noir de guerre, effectuée réglementairement par la France, le deuxième ayant été remis en configuration « finition Remington », c’est-à-dire jaspé avec un bois légèrement teinté. Notons que sur cette arme, la baguette est absente.

Les Rolling Block M15 sont donc chambrés pour la cartouche réglementaire française, la 8X50R, communément appelé 8mm Lebel. Cette cartouche, ces particularités et son historique ont déjà été traités dans un précédent article. Ce calibre est encore classé en première catégorie et nécessite donc une autorisation préfectorale d’acquisition et de détention.

La longueur totale de l’arme est de 115cm, le canon mesure 73cm et le poids total est de 4kg. L’arme est équipée d’une hausse à planchette graduée par tranche de 100m jusqu’à 2400m. Au-delà de 800m la hausse doit être positionnée en position verticale. Le guidon a une particularité intéressante, il est dérivable sans outils après le desserrage d’une vis de maintien.

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Détail des bouches et des guidons dérivables. Pour modifier son positionnement, il suffit de dévisser la vis de maintien, détail rare sur arme militaire.

Les deux armes sont dans des états proches du neuf, les canonneries sont excellentes. Le premier fusil est dans une configuration « d’origine » c’est-à-dire avant retraitement par l’armée. Ce travail de jaspage a été réalisé il y a plusieurs dizaines d’années par un professionnel, et le résultat est tout simplement superbe, sobre et sans défaut. Le deuxième fusil est resté dans sa configuration réglementaire, avec un bronzage noir de guerre.


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Les hausses présentent un aspect conforme à l’usage de l’époque. Graduées de 200 à 2400m, le cran de mire est particulièrement ouvert et précis. Dommage que le guidon soit de forme triangulaire, ne facilitant pas une visée régulière et accentuant les phénomènes de mirages après le tir de plusieurs cartouches.

Pour ce test, plusieurs lots de munitions ont été réalisés. Ces chargement ont en commun les douilles, de marque PRVI en 8×50R, l’ogive PRVI FMJ Match en 196 grains et l’amorce CCI 200 Large Rifle. La première charge est considérée comme médium, avec 2,72 grammes de TU 5000. Une charge réduite a été composée pour le tir de précision, avec 1,60 de TU 2000. Un chargement plus « musclé » a été réalisé avec 2,90 grammes de TU5000 et des balles « D » récupérées sur des lots de munitions réglementaires.

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A gauche, munitions sur base d’étui PRVI, avec ogive de la même marque.
A droite, munitions sur base d’étuis 348 Winchester modifiés et balles D réglementaires.

L’essai des deux Rolling Block s’est effectué à la distance de 50m, avec les munitions à charges réduites décrites précédemment. En effet, le tir de quelques munitions à charges normales entraine rapidement une surchauffe importante, un phénomène de mirage faussant totalement la précision. Loin des Rolling Block type sporting que l’on peut trouver en réplique actuellement, le canon de ce modèle est relativement fin et chauffe très rapidement.

Ce fusil, comme toutes les armes du système Rolling Block est d’une finesse et d’une élégance certaine, l’équilibre de l’arme est particulier. Le centre d’équilibre ce positionne en avant du boitier de culasse et le tir sans appui devient vite fatiguant. Le système de verrouillage est traditionnel, il est simple (extrêmement simple) et fiable. Durant nos essais nous n’avons eu aucune fuite de gaz, même avec les chargements les plus chauds. Nous recommandons cependant le port de lunettes de sécurité, car en cas de fuite, les gaz iraient directement sur le visage du tireur…

La souplesse de fonctionnement est parfaite, le positionnement des pièces de verrouillage laisse une impression de « moelleux », l’ajustage est vraiment excellent. Sur ce modèle, la présence d’un éjecteur est intéressante ! Ce dernier est constitué d’une lame sous tension prenant appui sur le flanc de la carcasse, de conception ultra simple, il n’en demeure pas moins d’une efficacité étonnante, envoyant les étuis à une vingtaine de centimètres de la chambre lors de l’ouverture de la culasse. A n’en pas douter cette disposition a certainement permis d’augmenter la cadence de feu théorique. Notons que cet éjecteur fonctionne également parfaitement avec les douilles de 348 Winchester transformées.

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A gauche, éclaté du mécanisme du Rolling Block type 1915, la pièce 5ER correspond à l’éjecteur.
A droite, chambrage d’une cartouche en 8mm Lebel.

Les armes n’étant pas ma propriété, je n’ai pas pris le risque de les démonter, cependant la photo ci-dessus illustre à la fois la simplicité et la fiabilité du système. La sureté de fonctionnement est réelle, nous en avons fait les frais lors de nos essais. Si une munition n’est pas exactement aux cotes de la chambre ou si une amorce n’est pas totalement enfoncée dans son logement, la culasse ne se ferme pas totalement et le chien n’est pas libéré pour la percussion, il reste bloqué en position armé. Le fonctionnement de ce système n’est donc possible, qu’avec des munitions rigoureusement aux cotes de la cartouche réglementaire (le chambrage modèle 1932 M n’assurant pas le fonctionnement). Encore une fois, s’il fallait le rappeler, le fonctionnent du système et la mise en œuvre de son verrouillage assurent une grande sécurité.

Le tir des munitions proches de la cartouche réglementaire est impressionnant, le recul est important et relativement « sec ». L’enchaînement de plusieurs tir s’effectue rapidement et le recul est rapidement maîtrisable, seul demeure le problème de l’échauffement. Pour les tirs de précision nous usons donc de charges réduites. Ce rechargement est réellement éprouvé, je l’utilise depuis plusieurs mois dans différents types d’armes chambrées en 8mm Lebel. Comme toute charge réduite, il convient de redoubler de vigilance. Premièrement, la charge de poudre ne représente que le tiers de la capacité de la douille, ce qui entraîne un risque réel de double voir de triple charge, le risque est donc réel et demande un contrôle systématique de charges. Autre phénomène pouvant être rencontré avec la charge réduite : la fuite de gaz. Cette dernière s’explique logiquement par le fait que les pressions engendrées ne suffisent pas à assurer le fire forming nécessaire à l’étanchéité de la chambre. Il convient donc de n’utiliser exclusivement que des douilles parfaitement aux côtes de la chambre, en réalisant par exemple un fire forming à pleine charge, puis en ne recalibrant que le collet.

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A gauche, vue du verrou arme prête au tir. Cette photo permet de voir la tête de percuteur logé dans ce dernier.
A droite, le tir de charges réduites entraîne de légers imbrulés, un nettoyage tous les 10 tirs par un simple écouvillon synthétique règle le problème.

Les charges réduites assurent une précision tout à fait acceptable entre 50m et 100m. Dans nos armes, le tir de ces cartouches ne provoque qu’un recul très modéré, la détonation est proche d’une cartouche d’arme de poing. Sur plusieurs séries, la constance des résultats confirme la pertinence de la charge. Seul bémol, quelques imbrulés restent dans la canon, ils ne perturbent aucunement la précision, mais nous préférons nettoyer le canon toutes les dix cartouches avec un écouvillon synthétique.

La prise de visée s’effectue plein centre, hausse à 400m. Nous avons remarqué, même à pleines charges que les hausses d’origine portaient réellement bas… Comme mentionné précédemment, le cran de mire est parfaitement dessiné, le problème tient dans le guidon de forme triangulaire. Néanmoins, les résultats demeurent corrects et pourraient être à mon sens améliorés avec un peu plus de pratique. Le guidon dérivable sans outils (autre qu’un tournevis) apporte un réel confort pour les réglages, évitant toute contre visée, c’est un point rarement rencontré sur d’autres armes militaires contemporaines.

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L’arme a un équilibre particulier, en avant du boitier de culasse, le maintien d’une position de visée sans appui devient vite pénible. La cible représente un de nos meilleurs groupements à 50m en position sans appui avec des munitions à charge réduite.

Une baïonnette réglementaire équipe l’arme, elle est également de fabrication Remington. Avec une lame de 40cm, l’équilibre de l’arme s’en trouve encore dégradé… Cette pièce est relativement peu fréquente, mais il est toujours intéressant de pouvoir associer l’arme et sa baïonnette au râtelier!

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Baïonnette montée sur l’arme, la baguette de nettoyage est naturellement cintrée pour permettre la fixation. Les marquages sont les suivants:
« REMINGTON ARMS – UNION METALLIC CTG. CO.. REM. WORKS. ILLION. N.Y. U.S.A. »

Même si cette arme n’a pas eu réellement une implication dans l’histoire des armes réglementaires françaises, elle n’en demeure pas moins une pièce fort intéressante. En effet, il s’agit d’un des derniers Rolling Block militaire produit, et même si sa vocation première le destinait aux troupes de seconde ligne et aux territoriaux, il reste une pièce de notre patrimoine. Ce fusil a le double avantage d’intéresser les collectionneurs de Rolling Block et les collectionneurs d’armes réglementaires françaises. Il n’est pas courant de pouvoir en trouver un dans un état convenable, la plupart ayant été utilisés a postériori pour les exercices militaires, soit envoyés vers le continent africain. Son classement en 1ère catégorie pousse bon nombre d’armuriers à les rechambrer, ce qui pour moi est toujours une erreur! Il est dommage que 143 ans après l’apparition de ce système, cette arme (et ce calibre obsolète) reste classée. Prions pour une future évolution positive de la réglementation.

Remerciements:

François Grandjanin et Yoanne Martin pour leur collaboration à l’article et la réalisation des photos

Sources:

Article de George J LAYMAN paru dans D.G.W. Blackpowder Annual 1988
http://www.tiropratico.com/esplosi/remroll.jpg
http://dutchman.rebooty.com/rb.html
http://rollingblockparts.com/

Avertissement

Cette étude porte sur une arme dont l’auteur dispose et n’est pas applicable à toute arme de même calibre. Seule la méthode est applicable en fonction de l’état de l’arme et des composants. L’arme dans son intégralité devra être vérifiée par un professionnel. Il en va de même pour le projectile et la charge de poudre.

A l'Affiche, Carabines

A propos de l'auteur

picantin60@yahoo.fr

Un Réponse to “Essai du fusil Remington Rolling Block modèle 1915 en 8mm Lebel”

  1. Jean Paul dit:

    Superbe exposé !!. Mille merci

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